Quel impact de #MeToo et des nouvelles approches féministes sur les masculinités ? Une enquête montre qu’au sein des jeunes générations, la figure du « mec déconstruit », c’est-à-dire conscient des stéréotypes de genre et soucieux de la condition des femmes, est désormais valorisée.
Lauréat du Prix Un Certain Regard au Festival de Cannes 2023, How to Have Sex de Molly Manning Walker met en scène trois lycéennes des classes populaires anglaises – Tara, Skye et Em – qui sortent en boîte de nuit avec d’autres jeunes. L’un d’eux, Baddy, incarne une forme de masculinité « virile » : plein d’assurance, il se montre entreprenant avec les filles et finit par violer Tara. Badger, au contraire, est timide et soucieux des émotions de l’adolescente. Au sein de son groupe de pairs, le premier s’avère largement plus influent que le second. En revanche, Badger semble avoir plus de succès auprès des filles.
Acclamé par la critique pour son réalisme, le film suggère que si, auprès des hommes, c’est toujours l’attitude masculine conquérante qui est valorisée, la démonstration de virilité semble moins payante auprès des jeunes femmes, y compris dans les classes populaires. Ce long-métrage et son succès traduiraient-ils une recomposition des styles de masculinités valorisées depuis #MeToo ?

Dans mon travail doctoral portant sur la culture du consentement, je me suis intéressée à cette recomposition. Mon enquête cherche notamment à déterminer si les hommes les plus valorisés – tant auprès des femmes que de leurs pairs hétérosexuels – sont toujours les « mecs virils », à l’aise pour séduire (quitte à insister si leur cible n’est pas réceptive), ou si les figures plus empathiques et introspectives, qualifiées de « mecs déconstruits », prennent désormais le dessus.
Les jeunes femmes préfèrent les « mecs déconstruits » aux « virils »
Entre 2019 et 2022, j’ai interrogé 67 femmes hétérosexuelles et 63 hommes hétérosexuels âgés de 18 à 65 ans, recrutés via une annonce sur une centaine de groupes Facebook non liés à la sexualité (pour éviter de cibler des personnes aux parcours sexuels atypiques). Les volontaires sélectionnés avaient des profils variés en termes d’âges, de milieux sociaux et de lieux de résidence.
Au sein des générations nées après 1990 et évoluant au sein de la bourgeoisie culturelle, c’est-à-dire de la bourgeoisie davantage dotée en patrimoine culturel qu’en patrimoine économique, si les femmes ont tendance à être attirées par des hommes mystérieux, physiquement puissants et dominants (la figure du « bad boy » donc), elles aspirent à des partenaires qui sont aussi « déconstruits », comme l’a également montré Daria Sobocinska dans sa récente thèse. Il faut entendre par là des hommes qui ont conscience de la domination masculine, qui se montrent réflexifs sur les effets de leurs propres comportements et font preuve d’empathie – des hommes « féministes », en somme.
Ainsi, les trois quarts des femmes nées depuis le début des années 1990 que j’ai interrogées accordent de l’importance à l’empathie et aux pratiques introspectives dans le choix de leurs partenaires. Ce qu’illustre le témoignage de Ségolène, une cadre supérieure de la fonction publique âgée de 25 ans, à propos de l’homme qu’elle fréquente :
« Lui pour le coup il fait vraiment attention à ce que je ressens […]. Une fois on s’était vus, on avait couché ensemble et y avait un truc qu’il avait dit après mais qui n’avait rien à voir hein, qui m’avait pas plu. Du coup […] j’avais été un peu froide et j’étais partie peut-être plus rapidement que d’habitude. Et il m’avait envoyé un message le soir pour me dire qu’il voulait pas que je me sente forcée de le « sucer », que lui il avait pas forcément besoin de ça. C’était pas ça du tout mais j’avais apprécié qu’il s’interroge. »
Stratégies pour éviter les « ultra machos »
Certaines enquêtées mettent alors en place des stratégies pour rencontrer ce type de profil. Plusieurs d’entre elles déclarent privilégier les hommes diplômés de filières de sciences humaines et sociales à ceux issus de formations en finance ou diplômés d’écoles d’ingénieur, estimant que cela limite le risque de « tomber sur un mec old school ».
Face à cette nouvelle aspiration féminine, la figure du « mec déconstruit » apparaît comme un modèle attractif pour les hommes des nouvelles générations ou évoluant au sein de la bourgeoisie culturelle. Ce phénomène ne s’observe d’ailleurs pas seulement en France : d’autres études qualitatives en rendent compte au Royaume-Uni, en Australie ou encore en Finlande.
En se présentant comme tels, ils peuvent être perçus comme des hommes respectueux, qui n’infériorisent pas les femmes et n’exercent pas de violence sur celles-ci ; autrement dit comme moralement « bons » et sécurisants. Or, une telle image facilite la séduction, la valorisation par les amies – et donc le respect des copains.
Des experts en féminisme, en émotions et en communication
Ces hommes cherchent dès lors à prouver qu’ils sont « déconstruits » en insistant sur l’attention qu’ils portent aux émotions de leurs partenaires et en donnant des gages de leur soutien au féminisme, notamment dans le domaine de la sexualité.
Certains mettent en avant leurs connaissances théoriques. C’est le cas de Maxime, un pharmacien âgé de 26 ans :
« Du coup la meuf on se retrouvait parfois seul à seul et on discutait un peu de tout. Et c’était une meuf féministe. […] Et je lui ai montré que j’avais lu plein d’articles, par rapport au slut shaming, par rapport au viol, au consentement, à l’activité sexuelle des femmes, par rapport à la diversité des sexualités qui existent. […] J’essayais de lui montrer que […] je sais très bien ce que c’est le féminisme […]. Et du coup, là on a basculé […] vers une forme de séduction. »
Mon enquête montre aussi que les jeunes hommes de la bourgeoisie culturelle ou se destinant par leurs études à y évoluer sont trois fois plus nombreux à se présenter comme des « mecs déconstruits » que ceux issus de la bourgeoisie économique ou des classes populaires. D’une part parce qu’ils consomment davantage de produits culturels véhiculant des idées féministes et d’autre part parce que leur entourage discrédite les masculinités jugées trop viriles.
La revanche des hommes timides
Mon travail met également au jour une sorte de « revanche des timides ». Si leur manque d’aisance les conduisait par le passé à être plutôt perçus comme des amis que comme des partenaires potentiels, c’est désormais moins le cas.
Ils ont de surcroît la possibilité de justifier leur posture attentiste par l’importance cruciale qu’ils accordent au consentement et par leur volonté de respecter les femmes.
Cette amélioration de l’attractivité érotique des timides est d’ailleurs encore plus marquée chez ceux qui rejoignent les communautés polyamoureuses – des groupes qui encouragent les scénarios sexuels fondés sur la communication verbale.
Pierre, un enseignant-chercheur en informatique âgé de 35 ans, explique que la découverte de ce « monde » a « sauvé sa vie sexuelle » :
« Je suis plutôt très timide, très réservé […] J’ai très peu été dans la situation d’entreprendre, j’ai toujours beaucoup de mal. […] Mais maintenant il y a des femmes que je rencontre qui ne sont absolument plus dans ces schémas-là et qui même préfèrent les hommes timides, moins dominants, moins dans une logique patriarcale. »
Ainsi, les cartes du jeu de la séduction sont rebattues, et des profils autrefois perçus comme moins « gagnants » sur ce marché sont désormais valorisés.
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Attendons-nous donc à ce que les « mecs déconstruits » investissent nos écrans, que ce soit sur les applications de rencontres, dans les films ou les séries TV. Pensons à Ottis Milburn, l’adolescent timide et complexé de la série britannique Sex Education ou encore à Max dans All eyes off me, film plus confidentiel de la cinéaste israélienne Hadas Ben Aroya.