Fini le foot business. Bienvenue dans le foot coopératif. Après le SC Bastia, c’est au tour du FC Sochaux-Montbéliard de se transformer en coopérative. Ce modèle démocratique associe supporters « socios », collectivités locales et investisseurs locaux.
À la fin de la saison dernière, les mythiques Girondins de Bordeaux sont relégués en National 2 suite à une décision de la Direction nationale de contrôle de gestion (DNCG). Ce nouvel exemple de rétrogradation administrative illustre la vulnérabilité économique des clubs de football. Face au « fiasco » des droits TV en France, le président de la DCNG lui-même considère que « le modèle économique (des clubs de football) tel qu’il existait est mort ». Les fonds d’investissement, marqués par les logiques financières, sont pointés du doigt.
Dans ce contexte, des contre-modèles émergent. Outre l’actionnariat populaire, représenté, par exemple, par les Kalons qui sont rentrés dans la société de l’En Avant Guingamp en 2017, des sociétés coopératives d’intérêt collectif (Scic) sont créées. Elles constituent selon un avis du Conseil économique, social et environnemental (Cese), le « chaînon indispensable » entre l’association et l’entité commerciale pour impliquer les parties prenantes, développer des ressources nouvelles et optimiser le réinvestissement des excédents.
Le SC Bastia, un modèle coopératif SCIC
Le SC Bastia a ouvert la voie en mobilisant un « patrimoine territorial » à transmettre et valoriser. Criblé de dettes, contraint de déposer le bilan et relégué en National 3 en 2017, le SC Bastia s’est reconstruit grâce à une coalition territoriale. Cette dernière rassemble investisseurs locaux et socios, des supporters possédant une part de leur club. Lors d’un entretien réalisé le 23 octobre, le président du SC Bastia, Claude Ferrandi, insiste sur l’« l’attachement viscéral » des Bastiais pour leur club.
La mémoire collective du Sporting est marquée tant par l’épopée européenne de 1977-1978 où il a atteint la finale de la coupe de l’UEFA, que par la catastrophe de Furiani en 1992. Lors de cet épisode tragique, 18 supporters perdent la vie dans l’effondrement de la tribune Sud du stade.
Le SC Bastia a retenu le modèle coopératif parce qu’il était jugé « le plus adéquat pour redonner confiance aux supporters ». Créée en 2019, la Scic a fédéré autour de valeurs partagées et d’une gouvernance démocratique. Comme toutes les coopératives, elle prend la forme d’une société commerciale, une société anonyme (SA) dans le cas présent. Cependant, elle poursuit un intérêt collectif, le SC Bastia, et mobilise une dynamique multi-parties prenantes. Sa gouvernance est ainsi distincte de l’apport en capital et repose sur le principe « une personne = une voix ».
Union de familles corses et de socios
Le projet a associé deux familles corses aux supporters, réunis au sein de l’association des Socios Étoile Club Bastiais (SECB). Le capital social de la coopérative, à hauteur de 800 000 €, est composé de 600 000 € pour les premiers et 200 000 € pour les seconds. Les familles Ferrandi et Luiggi forment le collège des fondateurs, avec 38 % des droits de vote, contre 20 % pour les supporters. Trois autres collèges ont été créés. Ils rassemblent des entreprises locales partenaires, les salariés, licenciés et anciens licenciés – entraîneurs, éducateurs et joueurs –, ainsi qu’une vingtaine de collectivités locales.
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Le SC Bastia a retrouvé le monde professionnel en 2021, lorsqu’il est remonté en Ligue 2. Suite à des investissements de 1,2 M€ dans les infrastructures – administration, médical, réathlétisation, buanderie, club-house, terrain en synthétique –, le centre de formation a retrouvé son agrément du ministère des Sports. Le club a également créé le label Paese Turchinu, ou « pays bleu », pour encourager les collectivités locales à devenir sociétaires. De fait, elles participent à des actions environnementales – gestion des déchets ou maîtrise des énergies – et sociales – solidarité et lutte contre les discriminations.
Coopérer pour sauver le FC Sochaux-Montbéliard
Le FC Sochaux-Montbéliard est le second club français à créer une SCIC en raison d’importants déficits. À la différence du SC Bastia, il n’est redescendu qu’en National et a pu maintenir son statut professionnel. Sa relégation remonte à l’été 2023. Trois projets de reprise ont été présentés, dont un porté par les socios regroupés dans l’association des Sociochaux. Il s’inspirait à la fois du modèle bastiais et du mouvement de reprise des clubs de football en Angleterre, à l’instar du Northampton Town FC en 1992 ou d’Exeter City en 2003.
C’est finalement un projet fédérateur porté par l’ancien président du club, Jean-Claude Plessis, qui a permis d’éviter le dépôt de bilan. Une quarantaine d’investisseurs locaux, principalement franc-comtois et alsaciens, ont chacun versé un million d’euros en urgence. Parmi ces investisseurs, on trouve les socios, les collectivités locales, le Pays de Montbéliard Agglomération, le territoire de Belfort et le département du Doubs.
Des socios aux commandes
Le projet des socios a ainsi évolué vers une Scic filiale, recentrée sur le centre de formation et les sections féminines. Pour Mathieu Triclot, président des Sociochaux que nous avons interrogé le 18 novembre 2024, cela se justifiait par trois raisons. La première : une résistance de la part des investisseurs, alors très nombreux par rapport au SC Bastia. La deuxième : une méconnaissance du modèle de Scic. La troisième : des divisions entre les collectivités locales.
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Les Sociochaux ont investi 780 000 € dans le capital du club et 50 000 € dans la SCIC porteuse du centre de formation. Le club s’organise ainsi entre une association support, une SCIC et une SASP. Les trois principales parties prenantes que sont les investisseurs locaux, les socios et les collectivités locales sont représentées dans les instances. Mathieu Triclot souligne que le projet de Scic a permis de « réinventer un espace de gouvernance partenariale ». Le centre de formation est la « source de valeur » du club. Pour lui, les supporters sont la « clé de voûte » du nouveau projet en favorisant l’implication des collectivités territoriales.
Le renouveau du football populaire
À Bastia comme à Sochaux, les acteurs dénoncent les méfaits du foot business, sa financiarisation tant au niveau des instances du football que des clubs eux-mêmes. Le foot populaire y est promu non seulement pour l’apport des socios, mais aussi par le réencastrement des clubs dans leurs territoires. Comme le conclut un rapport d’information du Sénat, les clubs participent « à la vitalité économique de nos territoires et à leur identité ».
Ces projets ne sont-ils que des issues de secours ou peuvent-ils constituer un véritable recours ? Alors que le SC Bastia a été rétrogradé en National 1 à titre conservatoire le 27 novembre 2024 par la DNCG, Claude Ferrandi a déclaré : « Aujourd’hui, nous actionnaires, on n’est pas assez forts. Je n’ai pas peur de le dire, c’est la vérité ». Les ressources territoriales, notamment celles issues de l’actionnariat populaire, sont-elles suffisantes, tandis que les modèles coopératifs peinent à attirer les investisseurs ?
En tout cas, ces clubs coopératifs démontrent déjà qu’un foot autrement est possible.