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Affiche collée au mur avec écrit "de l'eau pour Mayotte"
Mayotte affiche le PIB le plus faible des régions françaises, 77 % des habitants sont sous le seuil de pauvreté national et 37 % de la population active est au chômage. JeanLucIchard/Shutterstock

Mayotte : cyclone météorologique et cyclone social

Sans une métamorphose de la politique de développement de Mayotte, il est à craindre que les vents du cyclone social et sociétal ne conduisent à des tourbillons aux impacts pernicieux dépassant les frontières de l’île hippocampe. Trois pistes de solutions pour y répondre : une refonte de la « départementalisation » à la française, l’insertion dans l’aire géographique de l’océan Indien et un soutien de l’Union européenne.


Les crises d’ampleurs inédites sont souvent l’occasion pour un territoire de refondre son ambition, sa stratégie et sa politique de développement. Pour Mayotte, la survenue du cyclone tropical intense, Chido, illustre un tel moment. La catastrophe d’un point de vue météorologique est passée, avec ses effets dévastateurs sur les vies et l’organisation de la société tout entière. Un autre cyclone demeure : celui du mal développement, aux effets insidieux renforçant les multiples vulnérabilités de l’île aux Parfums.


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Dans le cas du « météore climatique », les protocoles préventifs existent et les mécanismes de réparations d’urgence peuvent être activés. Cependant, force est de reconnaître que pour celui du « cyclone social », les leviers au service de la résilience restent bien peu actionnés. Et ce, malgré les signaux d’alerte appuyés sur des statistiques prégnantes établies par l’Insee. Les chiffres sont sans équivoque : PIB le plus faible des régions françaises, 77 % des habitants sous le seuil de pauvreté national et 37 % de la population active au chômage.

Passé le temps de la sidération et de la peine, il se pose bel et bien la question de la résilience de ce territoire – le plus pauvre et le plus inégalitaire de l’Union européenne. Dans cette perspective, trois pistes peuvent être explorées concomitamment. Elles nourrissent un changement de paradigme de la politique française et européenne à l’endroit de Mayotte en particulier et aussi envers les autres Départements et Régions d’Outremers (DROM).

Refonte de la « départementalisation » à la française

La première concerne la refonte de la politique française de développement à l’endroit de ses DROM.

Cette crise est une illustration du bilan mitigé des politiques successives appliquées au DROM depuis leur accession à la départementalisation. Malgré les succès matériels, les échecs humains persistent. Les écarts avec l’Hexagone demeurent, en dépit d’efforts colossaux entamés depuis plus de 10 ans pour Mayotte et presque 80 ans pour « les quatre vieilles » – Guadeloupe, la Guyane, la Martinique et La Réunion. Dans le cas de l’île hippocampe, la politique de développement issue de l’accès à la départementalisation doit être révisée et adaptée à chacun des départements ultramarins. Car même après l’expression de la solidarité nationale et européenne, le constat est amer : les différentiels insoutenables dans plusieurs domaines de la vie courante – eau, sécurité, logement – persistent.

L’ère du one size fits all ne correspond plus aux enjeux propres à chacun des territoires. Par exemple, la gestion de la démographie est aux antipodes entre la population vieillissante aux Antilles et très jeune à Mayotte. Pour cette dernière, la mise en action d’une forme de « plan Marshall » s’impose. L’analyse économique depuis plusieurs décennies avait déjà souligné, dans certains cas de ne pas y aller avec timidité. En d’autres termes, une version refondée de la politique économique française ultramarine est vivement attendue. Les solutions sont connues : réduire le cordon ombilical avec l’Hexagone, différencier les singularités entre les DROM et refondre les situations génératrices de rentes.

Insertion dans son aire géographique : l’océan Indien

La deuxième piste fait écho au changement d’horizon géographique des Outremers. Les DROM s’inscrivent dans leurs propres aires géographiques respectives.

L’enjeu va ainsi bien au-delà de la seule exploration de parts de marché à l’export. L’exemple de Mayotte l’illustre parfaitement. Sous la pression migratoire des populations voisines, le seul renforcement des barrières anti-immigrations ne suffit pas à enrayer l’arrivée de nouveaux résidents. Continuer à être le seul ilot relatif de richesse dans le canal du Mozambique est une impasse. Cette nouvelle conception de Mayotte met en lumière sa relation avec l’autre département français de l’océan Indien : La Réunion. Si l’élan de solidarité des Réunionnais témoigne de leur empathie envers leurs voisins, il contraste néanmoins avec le rapport relativement distant qu’entretiennent les deux îles. Mayotte n’a pas forcément bonne presse à La Réunion… et réciproquement.


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Ce nouvel épisode de catastrophe doit interpeller les deux territoires vers une mutation de la conception de leurs rôles au service de la présence française dans l’océan Indien. Mayotte et la Réunion peuvent s’appuyer sur des socles tels que les Zones économiques exclusives (ZEE) et les partenariats énergétiques – Mayotte détient une grande quantité de gaz. Dans une région du monde sujette à de vifs intérêts par les puissances riveraines – Australie, Inde – et plus éloignées – Chine, États-Unis –, la stratégie Indopacifique de la France place les deux îles au cœur de son dispositif. La Réunion et Mayotte seraient bien avisées d’ériger un nouveau rapport à l’Hexagone et à Bruxelles en mobilisant entre-elles une coopération renforcée, plutôt qu’une coûteuse défiance, pour faire valoir leurs avantages comparatifs géostratégiques.

L’UE en appuie à Mayotte

La troisième piste concerne l’évolution du paradigme européen pour accompagner les Régions ultrapériphériques (RUP) – la Guadeloupe, les Açores ou les îles Canaries, Mayotte, etc. – face à ces crises.


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Certes, l’Union européenne (UE), sur ce plan, n’est pas en reste. La réaction de la Commission européenne au moment de la survenue de la Covid-19 ou de la guerre en Ukraine témoigne de cette capacité à réagir. Loin de nous l’idée de comparer l’évolution d’une l’évolution d’une RUP et celle dramatique d’un pays en guerre. Là n’est pas le débat. En fait, cette capacité de réactivité de l’Europe est attendue ailleurs : dans la conception de ses politiques de cohésion et de développement. Là encore, il ne s’agit pas de nier leur existence. Lors de sa visite en Pologne le 19 septembre 2024, Ursula von der Leyen proposait de modifier trois règlements de l’UE. Ces derniers garantissent que des fonds de l’UE puissent être rapidement mobilisés pour soutenir les opérations de remise en état après une catastrophe. En outre l’allocation spécifique RUP pèse 654,4 millions d’euros entre 2021 et 2027.

Mamoudzou, capitale de Mayotte. Bebetot/wikimedia, CC BY-SA

Car l’Union européenne a déjà su faire évoluer ses paradigmes. Dans les années 90, de nouveaux outils sont créés pour accompagner la transformation des pays d’Europe centrale et orientale. Alors, au-delà de RESTORE, pourquoi ne pas envisager la création de leviers adéquats, en profitant de l’article 349-2 du TFUE ? Les politiques territorialisées (place-based policies) constituent un réservoir fécond d’idées pour régénérer la politique européenne de développement. Par exemple : la transition énergétique dans des îles asphyxiées du tout automobile, la transition vers l’économie circulaire, la capacité à s’insérer dans des chaînes de valeurs mondiales malgré les contraintes de l’ultrapériphicité, etc.

Face à la crise mahoraise, ces trois pistes de propositions ne doivent pas être regardées sous l’angle d’un simple catalogue, mais comme constituant un triangle d’opportunités. Pour Mayotte, s’engager dans une nouvelle ère de reconstruction au service d’un projet de développement plus équilibré et résilient. Pour La France et l’Union européenne, se positionner comme fournisseurs, aux régions de la planète fracturées, de solutions en développement résilient conjuguant interventions publiques intelligemment dimensionnées et coordinations des acteurs.

Elles rappellent la devise de Mayotte en shimaoré : « Ra Hachiri » (« Nous sommes vigilants »).