La très grande majorité de ce que nous consommons n'est ni recyclée, ni réutilisée.
En effet, en 2020, seulement 6,1 % des activités économiques au Canada étaient considérées comme circulaires. Cela signifie que la grande majorité des 2,3 gigatonnes de ressources consommées cette année-là ont été perdues.
Contre cette tendance, l’économie circulaire vise à optimiser l'utilisation des ressources à toutes les étapes du cycle de vie d'un bien ou d'un service.
Les villes, principaux lieux de consommation de ces ressources, de production de déchets et d’émissions de gaz à effet de serre provenant des transports et des bâtiments, sont stratégiquement positionnées pour inverser cette tendance. Parce qu’elles concentrent la majorité de la population, des infrastructures et des activités économiques, elles ont un rôle d’influence majeur à jouer dans la gestion des flux de matières.
Mais quel est le véritable pouvoir des villes dans l’économie circulaire ? C’est une des questions que j’étudie en tant que géographe et professeur au département d’études urbaines et de tourisme de l’Université du Québec à Montréal avec le soutien du Réseau de recherche en économie circulaire du Québec et du Conseil de recherche en sciences humaines du Canada.
Avant d’y répondre, examinons quelques faits.

Cet article fait partie de notre série Nos villes d’hier à demain. Le tissu urbain connait de multiples mutations, avec chacune ses implications culturelles, économiques, sociales et – tout particulièrement en cette année électorale – politiques. Pour éclairer ces divers enjeux, La Conversation invite les chercheuses et chercheurs à aborder l’actualité de nos villes.
L’économie circulaire prend racine dans les villes canadiennes
Au Canada, l’implication directe des autorités municipales dans le déploiement d’activités économiques circulaires est encore à ses débuts comparativement à l’Europe.
En 2018, le Recycling Council of Alberta a lancé une initiative pionnière visant à soutenir quatre villes – Banff, Edmonton, Calgary et Lethbridge – ainsi que le Comté de Strathcona dans l’élaboration de leur feuille de route en économie circulaire. On parle ici de leur engagement comme promoteur, facilitateur et catalyseur de l’économie circulaire sur leur territoire par le biais de différents leviers comme la sensibilisation, la réglementation et l’innovation ainsi que le financement et l’accompagnement de projets.
Aujourd’hui, elles sont plus d’une trentaine de villes et régions au Canada à différentes étapes de l’adoption de leur feuille de route en matière d’économie circulaire. Cet engouement résulte notamment de l’Initiative canadienne des villes et régions circulaires lancée en 2021 par le National Zero Waste Council avec la Fédération canadienne des municipalités, Recycling Council of Alberta, et Recyc-Québec.
Parmi elles, Montréal s’est récemment dotée d’un tel plan, tandis que Sherbrooke et la Communauté métropolitaine de Québec sont actuellement en phase de préparation.
La planification urbaine : un levier de l’économie circulaire encore peu utilisé
J’ai récemment publié avec le professeur au pôle d’études et de recherche en Économie et innovation sociale de l’Université de l’Ontario français Chedrak Chembessi une étude dans la revue Cambridge Journal of Regions Economy and Society sur les expériences urbaines au Canada. Nous avons entre autres montré que la plupart des projets de feuille de route se concentrent sur des actions plutôt génériques, comme le financement, l’accompagnement, les campagnes de sensibilisation et le maillage intersectoriel. Ces actions devraient pourtant être en grande partie laissées à d’autres acteurs tout à fait à même de les mener. Je pense notamment aux agences de développement économique des paliers de gouvernement supérieurs, aux chambres de commerce et aux associations sectorielles.
Ces actions génériques sont souvent préférées parce qu’elles répondent à des besoins immédiats exprimés par des entreprises locales et des secteurs d’activité déjà proactifs. De plus, les domaines prioritaires de l’économie circulaire, comme la construction, la transformation des matières recyclables, le textile et le bioalimentaire, excèdent souvent les compétences traditionnelles des municipalités, les amenant à se concentrer sur ces actions de base.
Or, parmi les leviers à disposition des villes, il en existe au moins deux qu’elles sont les seules à pouvoir mobiliser afin de jouer un rôle déterminant…
1) la planification urbaine, qui englobe les pratiques et les politiques liées au développement et à la configuration des composantes urbaines, et 2) l’approvisionnement, qui fait référence à leur pouvoir d’achat pour orienter le marché vers des produits et services circulaires.

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Si les municipalités sont déjà avancées en matière d’approvisionnement, elles sont en revanche moins engagées dans la planification urbaine liée à l’économie circulaire. Or, agir sur les composantes urbaines peut faire une différence en modifiant le rapport avantage-coût des stratégies de circularité, ce qui inciterait plus facilement les acteurs sociaux et économiques à privilégier ces stratégies.
Comment ? En redéfinissant les principes de planification urbaine à travers le prisme de l’économie circulaire.
Pour illustrer la chose, voici trois exemples de mesures qui pourraient être envisagées.
Proximité et accessibilité pour les services en économie circulaire
Premièrement, rapprocher les services urbains liés à l’économie circulaire (comme l’entretien, la réparation, les dons et la revente) des quartiers à forte concentration de familles, de jeunes, de nouveaux arrivants et de personnes aînées afin de garantir leur rentabilité.
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Ce faisant, leur emplacement doit toutefois être planifié de manière à faciliter l’approvisionnement en biens qui, autrement, seraient jetés. Cela implique donc d’innover en matière de zonages commerciaux et industriels préférentiels, car pour ces services, la proximité avec les consommateurs est une condition essentielle, surtout dans un contexte de forte concurrence pour des espaces commerciaux abordables.
Mixité fonctionnelle réfléchie
Deuxièmement, adopter une pratique plus ciblée de la mixité fonctionnelle, c’est-à-dire la colocalisation de diverses fonctions urbaines (logements, industries légères, commerces, services communautaires, etc.), afin de rendre intentionnellement les pratiques d’économie circulaire plus viables et rentables.
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Par exemple, planifier conjointement le développement des zones commerciales mixtes avec celui des zones industrielles légères ciblées (par exemple, le textile) favoriserait le recyclage des résidus en nouveaux produits et donc en opportunité économique. De même, planifier conjointement le développement des pôles majeurs d’emplois avec celui des logements abordables et des réseaux de transport collectif permettrait de réduire les coûts de transport pour les travailleurs potentiels et faciliterait le recrutement et la rétention pour les entreprises locales sensibles à la pénurie de main-d’œuvre.
Réutilisation économiquement attrayante
Enfin, la réutilisation des bâtiments et des infrastructures existants devrait devenir plus attrayante économiquement que la démolition. Imposer des normes ne suffit pas.
Il est aussi nécessaire de moderniser l’utilisation du sol et d’innover dans les équipements et les services municipaux pour encourager la réutilisation des matériaux. Cela pourrait inclure la mise à disposition d’équipements et de zones dédiées à la déconstruction, ou la création de centres de reconditionnement stratégiquement localisés dans la ville avec de nouveaux services publics en logistique afin de faire de la réutilisation une option naturelle pour les développeurs.
Repenser la structure
Ce ne sont que quelques exemples, mais ils illustrent bien l’importance de poursuivre la recherche sur le potentiel de contribution de la planification urbaine au déploiement de l’économie circulaire.
Les activités économiques et la structure urbaine sont intrinsèquement liées et se renforcent mutuellement. Pour que la circularité puisse devenir la norme, elle doit être structurellement avantageuse, en termes de coûts et de praticité, pour tous les acteurs sociaux et économiques.
Intervenir sur la configuration des composantes urbaines est indispensable et fait partie des solutions. Après tout, atteindre de nouveaux horizons nécessite parfois d’améliorer le navire, pas juste de changer de cap.