La prise d’Alep par l’opposition syrienne, le 29 novembre dernier, a surpris une grande partie de la communauté internationale. Après l’implication de la Russie, de l’Iran et du Hezbollah dans la longue guerre civile syrienne, de nombreux observateurs ont supposé que les forces de Bachar Al-Assad avaient remporté cette guerre.
Or, en temps de guerre, rien n’est statique.
Après Alep, les forces de l’opposition ont poursuivi leur avancée contre le gouvernement syrien, aboutissant à la prise de la capitale Damas, le 8 décembre, qui a forcé Al-Assad à fuir le pays pour la Russie.
Les Syriens célèbrent aujourd’hui la chute d’un dictateur qui leur a fait subir une longue guerre civile et la fin de la mainmise de sa famille sur le pays pendant un demi-siècle.
Mais les forces d’opposition qui l’ont fait tomber en 2024 ne sont pas celles que les États-Unis et leurs alliés ont soutenues en 2013. L’opposition est aujourd’hui dominée par des groupes fondamentalistes, contre les organisations modérées préférées des Américains.
De plus, il est peu probable que la chute d’Al-Assad rétablisse la paix dans le pays à court terme.

La guerre civile syrienne
La guerre civile syrienne est l’un des conflits les plus longs au monde. Depuis 2011, dans le cadre du Printemps arabe, les forces d’opposition ont cherché à renverser Al-Assad, le dictateur syrien de longue date.
Dans un premier temps, les pays occidentaux se sont ralliés aux forces d’opposition syriennes. Les tactiques brutales du régime d’Al-Assad, qui ont entraîné le déplacement de plus de la moitié de la population du pays, ont suscité une sympathie internationale massive.

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Cet effet de ralliement a toutefois été de courte durée. La courte capacité d’attention mondiale et l’émergence d’ISIS ont poussé les gouvernements occidentaux à donner la priorité à cette menace terroriste plutôt qu’à la guerre en Syrie. Cela a permis à Al-Assad d’obtenir le soutien d’autres entités pour consolider son régime.

Initialement triomphant
De nombreux analystes ont affirmé qu’Al-Assad avait remporté la guerre civile syrienne en 2018, et les États-Unis de Donald Trump ont alors cessé d’appuyer les rebelles syriens.
Le gouvernement d’Al-Assad, quant à lui, a conservé un soutien considérable de la part de la Russie, de l’Iran et du groupe armé libanais Hezbollah.
Mais, même si les forces d’Al-Assad ont conservé le contrôle d’une grande partie du pays et de ses principales infrastructures, elles se sont révélées incapables de vaincre définitivement les forces rebelles syriennes. En outre, le soutien au régime d’Al-Assad a commencé à s’effriter parmi ses alliés pour diverses raisons.
La Russie se trouve engagée dans un conflit prolongé en Ukraine. Israël a vulnérabilisé l’Iran dans une série de représailles au cours de l’année écoulée. Plus important encore, Israël a tué plusieurs dirigeants du Hezbollah au cours des derniers mois, compromettant gravement sa puissance militaire.
Le régime Al-Assad ne disposait pas d’une base de soutien suffisamment large au sein de son propre peuple pour remplacer ses alliés extérieurs.
Pendant ce temps, les forces rebelles syriennes ont elles aussi changé.
La nature changeante des rebelles
Les forces d’opposition syriennes ont connu une évolution brutale après des années de lutte.
Il est important de noter que ces forces disparates n’ont jamais été totalement unies. Au contraire, l’opposition syrienne allait d’éléments libéraux et modérés à des forces fondamentalistes islamiques. La seule chose qui les unissait vraiment était l’opposition à la tyrannie d’Al-Assad.
Le retrait du soutien des États-Unis et de nombre de leurs alliés a affaibli la position des éléments les plus modérés de l’opposition. En outre, les forces d’autodéfense de la Syrie ont subi des pertes importantes contre la Turquie en 2018 et n’ont pas encore retrouvé leur force d’antan.
La perte des alliés occidentaux et la nature durable de la guerre civile syrienne elle-même ont donné naissance à des voix de plus en plus radicalisées. La plus importante d’entre eux est le groupe Hayat Tahrir al-Sham. Il s’est formé en 2017 à partir de la fusion de divers éléments fondamentalistes au sein des forces rebelles syriennes.
Une pléthore de pays ont désigné Hayat Tahrir al-Sham comme une organisation terroriste liée à d’autres organisations radicales dans la région. Il s’agit du groupe armé le plus puissant parmi les forces rebelles syriennes.
Bien que Hayat Tahrir al-Sham ait affirmé avoir progressé par rapport à ses origines extrémistes, cela reste incertain.

Portrait d’après-guerre
La question qui se pose immédiatement après la chute d’Al-Assad est de savoir quelle forme prendra la Syrie d’après-guerre. Le pays occupe une position stratégique importante dans les affaires mondiales depuis la guerre froide.
L’importance stratégique de la Syrie s’est en fait accrue depuis le début de la guerre civile, car le monde est devenu de plus en plus multipolaire au lieu d’être dominé par les États-Unis et leurs alliés.
Le président élu Trump a déjà annoncé que les États-Unis ne s’impliqueraient pas en Syrie sous son mandat. Cela correspond à sa politique antérieure de retrait des forces américaines de Syrie et à sa position isolationniste plus large en matière de politique étrangère.
Les États-Unis n’étant bientôt plus disposés à agir et les alliés traditionnels d’Al-Assad étant incapables d’intervenir, il s’est créé un vide qui a deux issues probables.
L’implication de la Turquie
La première et la plus évidente des solutions est que l’opposition syrienne prenne le pouvoir. Hayat Tahrir al-Sham jouera un rôle important. Cela dit, avec le départ d’Al-Assad et la disparition du seul facteur d’unification de tous les groupes d’opposition, des conflits internes sont à prévoir.
La deuxième évolution possible est que la Turquie s’implique davantage en Syrie, peut-être même en collaboration avec Hayat Tahrir al-Sham.
La Turquie, comme plusieurs autres pays, a déclaré Hayat Tahrir al-Sham, une organisation terroriste. Cette désignation n’a toutefois pas empêché le régime de Recep Tayyip Erdogan à collaborer avec le groupe par le passé.

Il est clair que la Turquie considère les forces kurdes syriennes comme une menace plus grande que celle posée par les groupes islamistes. Cela s’explique par l’importance de la population kurde dans le nord de la Syrie. La Turquie s’oppose avec véhémence au nationalisme kurde sous toutes ses formes en raison de l’importance de la population kurde sur son propre territoire.
Aucune de ces évolutions n’est susceptible de ramener la stabilité en Syrie. Au contraire, ces évolutions entraîneront probablement la poursuite des déplacements et des souffrances du peuple syrien.